La Loi sur l’équité salariale fédérale : de la théorie à la pratique

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Denise Perron, CRHA, présidente et consultante, Groupe AEQUITAS (services experts en équité salariale au Canada), et ex-commissaire Employeurs, Commission de l’équité salariale du Québec

La Loi sur l’équité salariale est maintenant en vigueur au Canada. Elle vise les entreprises sous juridiction fédérale de 10 employés** ou plus, qu’elles soient du secteur privé ou du secteur public.

L’objet de la Loi

L’objectif de la Loi sur l’équité salariale (LÉS) est similaire à celui des lois de l’Ontario et du Québec sur le sujet : que les emplois féminins ne soient pas, sur la base d’une discrimination systémique, rémunérés moins que les emplois masculins de même valeur. Une série d’étapes (plan d’équité salariale) doit être complétée pour vérifier l’état des lieux. Dans le cas où il y a des écarts salariaux envers des emplois féminins, ils doivent être éliminés.

Une échéance serrée

Puisqu’une ébauche des résultats du plan doit être soumise au personnel de l’entreprise dès le 5 juin 2024 et les résultats finaux le 4 septembre suivant, les entreprises devraient avoir commencé leurs travaux depuis plusieurs mois déjà.

La démarche est connue

Pour les entreprises de l’Ontario et du Québec, qui connaissent l’obligation d’établir des plans (programmes) d’équité salariale avec des comités d’équité salariale pour bon nombre de celles du Québec, les étapes sont familières :

  1. Identification des catégories d’emploi;
  2. Détermination de leur prédominance (féminine, masculine ou neutre);
  3. Évaluation des catégories d’emplois pour en établir la valeur relative en tenant compte des qualifications requises, des responsabilités dévolues, des efforts requis et des conditions dans lesquelles le travail est effectué;
  4. Calcul de la rémunération globale (directe et indirecte);
  5. Estimation des écarts salariaux en vue de déterminer les ajustements à la rémunération des emplois féminins, le cas échéant.

Les lois dites proactives, c’est-à-dire celles qui exigent qu’une série d’étapes complexes soient réalisées par l’employeur (ou un comité d’équité salariale) afin de satisfaire aux exigences de ces lois, apportent cependant leur lot de difficultés d’application. La LÉS n’y fait pas exception.

Nous abordons ici deux de ces difficultés : la constitution d’un comité d’équité salariale ainsi que la mise en place d’un plan d’équité salariale unique.

  1. La constitution d’un comité d’équité salariale

Même si l’employeur a la responsabilité exclusive de réaliser l’équité salariale, le plan d’équité salariale doit généralement être réalisé par un comité d’équité salariale. En effet, la mise en place d’un comité d’équité salariale est obligatoire dans les entreprises de 100 employés ou plus et dans celles de 10 à 99 employés dont l’effectif est au moins en partie syndiqué.

Il y a des règles strictes applicables à la composition d’un comité d’équité salariale :

  • Au moins 3 personnes;
  • Au moins les 2/3 des membres du comité représentent les employés visés par le plan;
  • Au moins 50 % des membres sont des femmes;
  • Au moins un membre, choisi par l’employeur, le représente.

D’autres spécifications existent. Ainsi, la LÉS exige également une représentation minimale des employés non syndiqués et syndiqués parmi les membres du comité. Pour les employés syndiqués, elle énonce que chacun des agents négociateurs désigne son ou ses représentants. Quant aux employés non syndiqués, ils doivent choisir eux-mêmes son ou ses représentants au comité. La représentation des cadres peut toutefois représenter un défi; nous le verrons plus loin.

Une tâche ardue

Quand nous considérons l’envergure de certaines entreprises de juridiction fédérale (diversité des activités, multiplicité des unités d’accréditation, étalement géographique, etc.) en plus des multiples étapes à franchir, nous comprenons que l’établissement d’un plan unique n’est pas chose aisée :

  • Réunir les membres du comité et choisir un modus operandi;
  • Choisir ou élaborer un outil d’évaluation commun;
  • Convenir des évaluations des catégories d’emploi diverses;
  • Mesurer la valeur des divers éléments de rémunération;
  • S’entendre sur un mode de comparaison des rémunérations;
  • Etc.

C’est en tous les cas ce qu’a démontré l’expérience des entreprises du Québec qui ont mis en place un plan (programme) unique pour tous les employés de l’entreprise plutôt que des plans séparés (distincts) pour les groupes syndiqués.

Le cas des cadres : un défi

Les cadres sont visés par la LÉS. Le plan d’équité aura vraisemblablement des conséquences sur leurs emplois. Quel rôle joueront-ils au sein du comité ? Les cadres peuvent-ils représenter les employés visés par le plan ?

Sans entrer dans tous les détails d’ordre juridique qui ne sont pas notre propos ici*, résumons que les termes employé et non syndiqué ne sont pas utilisés de façon anodine dans la LÉS. Cela nous amène à nous interroger sur la composition d’un comité d’équité salariale. D’autres aussi se posent des questions.

En effet, certains s’en remettent à une interprétation stricte. Les cadres peuvent alors être choisis par les employés non syndiqués pour les représenter. Ils ne peuvent cependant pas participer eux-mêmes au choix des personnes représentantes. En d’autres termes, si les employés non syndiqués qui ne sont pas cadres ne choisissent pas un cadre pour représenter les employés non syndiqués de l’entreprise au sein du comité, les cadres se retrouvent alors sans représentation. C’est pourtant ce comité qui examinera leurs emplois.

Pour d’autres, les conditions posées dans la LÉS quant à la composition d’un comité d’équité salariale sont des minimales. Si ces conditions sont respectées, l’employeur peut nommer des personnes représentantes additionnelles pour les employés non syndiqués. L’employeur peut désigner des cadres ou aussi leur laisser le choix de leur représentant. Quelle que soit la situation, les cadres participent alors à l’examen de leurs emplois.

La constitution d’un comité d’équité salariale est donc beaucoup moins simple qu’elle n’y paraît à première vue. Les employeurs pourraient avoir à gérer l’insatisfaction des cadres dont les emplois sont visés par un plan d’équité salariale s’ils n’y sont pas représentés.

  1. La mise en place d’un plan d’équité salariale unique

La LÉS offre l’opportunité à un employeur, à un agent négociateur ou à un employé non syndiqué de demander à la Commissaire à l’équité salariale (Commission canadienne des droits de la personne) l’autorisation de mettre en place plus d’un plan d’équité salariale dans l’entreprise. Cette ouverture pourrait permettre de franchir les multiples étapes dans un temps plus court.

Cette approche de plans d’équité salariale multiples n’est pas nouvelle. La Loi sur l’équité salariale de l’Ontario impose un plan (programme) par syndicat et un plan pour les employés non syndiqués. Quant à elle, la Loi sur l’équité salariale du Québec prévoit un plan (programme) général, mais les associations accréditées peuvent exiger, sous certaines conditions, des programmes distincts pour les employés qu’elles représentent (ce que la majorité a d’ailleurs fait).

Plans multiples : les conditions requises

Les éléments à inclure dans la demande comprennent le nombre de plans souhaités ainsi que le nombre d’employés visés dans chacun des plans.

La Commissaire à l’équité salariale pose deux questions dans le cadre d’une demande de plans multiples :

  • Y a-t-il suffisamment de comparateurs masculins ?
  • Est-ce approprié d’approuver la demande dans les circonstances qui lui sont présentées ?

S’il y a un éventail de catégories d’emploi à prédominance masculine dans chaque plan, la Commissaire peut admettre que des comparaisons salariales sont possibles.

Par ailleurs, la LÉS prévoit qu’advenant le cas où l’établissement de plans multiples faisait en sorte qu’il devenait impossible d’identifier suffisamment de catégories d’emploi à prédominance masculine pour permettre la comparaison de la rémunération à des catégories d’emploi à prédominance féminine, la Commissaire rejette la demande.

Or, à notre connaissance, dans les décisions rendues à ce jour, il semble que même si les parties conviennent de la nécessité de mettre en place des plans multiples, la Commissaire rejette plutôt cette option, même lorsqu’il y a suffisamment de comparateurs masculins pour effectuer les comparaisons salariales.  La Commissaire semble être d’avis que la démonstration que les plans multiples puissent remédier de manière proactive à la discrimination fondée sur le sexe n’a pas été faite.

Dans certains cas, il faudra faire la démonstration que l’objectif de la LÉS sera atteint tout en tenant compte des besoins de l’employeur, des attentes des agents négociateurs et de celles des employés non syndiqués.

Le temps presse

Nous l’avons déjà mentionné : les plans d’équité salariale finaux doivent être terminés au 4 septembre 2024, et l’ébauche de ces plans doit être connue du personnel au 5 juin 2024.

Pour y arriver, des questions importantes doivent être posées et résolues, et les employeurs concernés doivent se mettre à la tâche !

*La LÉS comporte de nombreuses particularités. Pour de plus amples renseignements et des conseils, nous recommandons aux employeurs de consulter une personne spécialiste.

**Le terme ‘’employé’’ est utilisé dans ce texte dans une logique de continuité de la formulation de la LES. Ce terme désigne à la fois les employés et les employées.

Le site Carrefour RH de l’Ordre des conseillers en ressources humaines du Québec a publié en janvier 2024 une version antérieure de cet article.