Le fédéral a maintenant sa loi anti-briseurs de grève
2 octobre 2024
Le parlement fédéral a adopté au début de l’été 2024 un projet de loi qui va changer le recours à certains travailleurs de remplacement dans les cas de grève ou de lock-out. Cet article nous présente les principaux changements y figurant.
Lors d’une grève ou d’un lock-out, l’un des principaux problèmes pour l’employeur est de poursuivre ses activités alors que les salariés syndiqués ne sont plus disponibles pour effectuer le travail. Les entreprises de compétence fédérale peuvent faire appel à des travailleurs de remplacement. Un travailleur de remplacement est une personne qui ne fait pas partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out et dont les services sont requis par l’employeur pour exécuter, en tout ou en partie, des tâches des salariés en grève ou en lock-out.
Actuellement, le Code canadien du travail (le Code) autorise l’employeur à utiliser des travailleurs de remplacement (également appelés « briseurs de grève » ou « scabs ») pendant une grève ou un lock-out dans le but de poursuivre ses activités pendant une grève ou un lock-out ou pour d’autres objectifs légitimes de négociation. Cette situation signifie qu’un employeur peut utiliser les services de tout autre travailleur (c’est-à-dire un employé exclu de l’unité de négociation, des cadres, des sous-traitants, etc.) pour effectuer le travail des employés en grève ou en lock-out pendant la durée des conflits de travail.
Or, la situation sera appelée à changer avec le projet de loi C-58[1] adopté en juin dernier par le parlement fédéral. De fait, le recours à certains travailleurs de remplacement sera interdit dans certaines circonstances. Il s’agit d’un changement important, car cela limitera la capacité des entreprises sous réglementation fédérale à poursuivre leurs activités en cas de grève ou de lock-out.
Le présent billet fournit un aperçu des principaux changements figurant dans le projet de loi C-58, lesquels entreront en vigueur le 20 juin 2025.
Les travailleurs de remplacement interdits et les exceptions
Suivant le projet de loi, il sera interdit pour un employeur d’utiliser, dans le cadre d’une grève légale ou d’un lock-out légal, les services des travailleurs suivants pour effectuer le travail des employés en grève ou en lock-out :
Bien évidemment, il y aura des exceptions[3], à savoir :
La loi prévoira également une exception en cas de travaux urgents, soit des travaux nécessaires pour parer à une menace :
Toutefois, dans ce cas, l’employeur devra d’abord avoir donné la possibilité aux employés en grève ou en lock-out d’effectuer ce travail urgent avant de le faire effectuer par des travailleurs de remplacement.
Les conséquences en cas de contravention
Une violation de la prohibition relative aux travailleurs de remplacement constituera une pratique déloyale. Un syndicat qui prétendrait à une violation par l’employeur de ces nouvelles dispositions pourrait porter plainte au Conseil canadien des relations industrielles qui pourrait, après enquête, ordonner de cesser de recourir à des travailleurs de remplacement pendant la durée du conflit de travail.
L’utilisation illégale de travailleurs de remplacement constituera également une infraction qui pourrait donner lieu à une amende maximale de 100 000 $ par jour si l’employeur était reconnu coupable[4].
Entrée en vigueur
Tel que mentionné, le projet de loi entrera en vigueur le 20 juin 2025 et s’appliquera aux grèves et aux lock-out en vigueur à ce moment[5]. Les employeurs de compétence fédérale ont donc tout intérêt à se préparer dès maintenant à l’entrée en vigueur de ces nouvelles interdictions, lesquelles vont apporter d’importants changements aux rapports collectifs de travail.
Conclusions
Avec ces modifications au Code, la juridiction fédérale rejoint ainsi le Québec et la Colombie-Britannique qui ont également leur propre législation interdisant le recours à des travailleurs de remplacement en cas de conflit de travail.
L’impact que ces modifications auront sur les entreprises fédérales est encore difficile à mesurer. Comme vous le savez, le secteur fédéral comprend notamment les compagnies aériennes, les chemins de fer, le transport maritime, les télécommunications et les pipelines, tous des secteurs essentiels à l’économie canadienne et dans lesquels un arrêt de travail peut avoir des conséquences financières considérables. Or, toutes les entreprises pourraient ne pas être affectées de la même manière puisque toutes n’étaient pas en mesure de pallier aux inconvénients d’une grève ou d’un lock-out en faisant affaire avec des travailleurs de remplacement. Le temps nous dira donc quels seront les impacts. Pour l’instant, il convient toutefois de se rappeler que plus de 90 % des conflits de travail dans la juridiction fédérale ont été réglés sans arrêt de travail[6].
Auteurs : Me Gilles Rancourt, CRIA, Avocat, Langlois avocat et Me Andréanne Brosseau, Avocate, Norton Rose Fulbright, S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Sources : VigieRT, Ordre des conseillers en ressources humaines agréés du Québec, octobre 2024